Ces lettres ne feront pas de vous un poète talentueux, là n'est d'ailleurs pas la question. Mais le lecteur se surprendra peut-être à découvrir en Rilke l'un de ses semblables. L'écrivain de génie s'y révèle de fait d'une déconcertante accessibilité. Face aux doutes d'un jeune poète, Rilke conseille et rassure son correspondant, avec patience et humilité.
Et si la poésie dépendait moins du travail sur le texte que d'un travail sur soi ? À défaut de révéler les ressorts de la création littéraire, c'est une véritable éthique que le poète tâche d'exposer.
La traduction de l'écrivain Gustave Roud, longtemps introuvable, révèle brillamment la puissance poétique intacte de ces lettres. Demeure un texte culte, universel :
Un guide pour tous ceux éprouvant cette « noble inquiétude de vivre ».
Les voix de deux amants s'entrelacent dans une nuit de ferveur. Dans ce huis clos, se mêlent l'amour et la mort, la peur et le désir, la passion et la tendresse. Au rythme hypnotique d'une conversation fiévreuse, le lecteur entre dans l'intimité du couple et se laisse emporter dans un voyage initiatique où les symboles se multiplient : feu, serpents, oiseaux et l'antique combat entre bien et mal.
«Ils m'ont rien laissé... pas un mouchoir, pas une chaise, pas un manuscrit», se plaignait Louis-Ferdinand Céline. En 1944, l'écrivain fuit vers l'Allemagne. Des manuscrits disparaissent de son appartement, parmi lesquels plusieurs inédits. Au début des années 1980, Jean-Pierre Thibaudat entre en possession d'une caisse, un mètre cube de papiers... de la main de Céline. Des documents de toute sorte, dont les mythiques manuscrits. Une condition était posée : ne rien divulguer avant la mort de Lucette Destouches, veuve de Céline.
Au début du mois d'août 2021, leur découverte est rendue publique à la suite d'un imbroglio judiciaire. Le dépositaire accidentel d'archives de l'un des plus grands mythes littéraires du XXe siècle livre ici la véritable histoire de ce trésor retrouvé.
Les technologies numériques ont envahi nos existences à travers des dispositifs que leurs créateurs ne semblent plus maîtriser. Et si le mythe d'une intelligence artificielle réalisée par la révolution numérique ne servait qu'à dissimuler ses conséquences désastreuses ? Comment sortir de cette schizophrénie numérique ? Ce ne pourra être en opposant une fois de plus humain et machine.
Au contraire : il nous faut prendre soin de nos milieux numériques et ne pas laisser une poignée d'acteurs privatisés s'en emparer. Cet essai nous invite à transformer les technologies qui contrôlent nos cerveaux connectés en technologies réflexives et contributives. Pour, enfin, transformer le poison en remède.
Contraint de quitter Beyrouth-Ouest dans un pays déchiré par la guerre civile, un adolescent s'installe avec sa mère et sa soeur dans un bungalow exigu d'une station balnéaire.
De ce pamphlet publié pour la première fois à Londres en 1870, probablement de manière clandestine, on ne sait presque rien. Auteur ? Date ? Le mystère reste entier.
Il nous apprend les formes du despotisme, des plus violentes aux plus insidieuses. Si pour le tyran "la société est une proie", il sait isoler, corrompre voire travestir son joug en liberté. La complicité, la nécessité ou la peur font le reste. Sidéré, on est saisi par ces fulgurances si actuelles :
"Il est plus facile d'organiser le silence que la liberté." "Chacun sentant qu'il est tenu d'obéir, méprise chez les autres l'humiliation que lui-même il subit." Avec le sentiment troublant de l'interdit, on se glisse dans ce texte brut qui bouillonne, esquissé furtivement par un esprit libre et révolté.
Le Bateau-usine nous plonge en pleine mer d'Okhotsk, zone de conflit entre la Russie et le Japon. Nous sommes à bord d'un bateau de pêche, où le crabe, produit de luxe destiné à l'exportation, est conditionné en boîtes de conserve. Marins et ouvriers travaillent dans des conditions misérables et subissent la maltraitance du représentant de l'entreprise à la tête de l'usine. Un sentiment de révolte gronde. Un premier élan de contestation échoue, les meneurs sont arrêtés par l'armée. Mais un nouveau soulèvement se prépare.Ce récit bouleversant, directement inspiré de faits réels, provoque un puissant sentiment d'empathie avec ces hommes et leurs aspirations. L'oralité, le style incisif et le "regard caméra" adopté par le narrateur font de cette identification un appel à la révolte en soi.
Que faisons-nous quand nous voyons ? C'est ce que Bonnard et Giacometti peuvent nous aider à comprendre parce qu'ils ont eux-mêmes cherché à le comprendre.
Quant à P., il est l'auteur du récit de la création sur lequel s'ouvre la Bible. Il a eu l'intuition du pouvoir créateur du langage mais, en le réservant à Dieu, il a commis un impair dont les conséquences se sont étendues jusqu'à nous. En remontant son histoire, nous découvrons quelque chose d'important sur une part de nous-mêmes.
Mario Santiago Papasquiaro fonde avec Roberto Bolaño l'infraréalisme. Ils font partie de cette jeunesse mexicaine révoltée, alors aux prises avec la répression politique.
Papasquiaro répond à ce contexte en repoussant les limites, pour ouvrir un passage entre aventure subjective et lutte historique.
Dans ce texte fou, tous les opposés se heurtent : prose et poésie, fragments et continuité, lyrisme et théorie. Il cherche la beauté, l'intensité et vandalise la page à coups de caractères typographiques, pour atteindre les sommets de grands poèmes-fleuves : «Le Bateau-ivre», «La Prose du transsibérien», «Howl»... Frénétiquement total, «Conseils d'1 disciple de Marx à 1 fan d'Heidegger» est à l'image de son auteur flamboyant.
"Éloge de l'oisiveté" est une pépite dénichée dans l'oeuvre immense et protéiforme de Bertrand Russell. Dans la grande tradition des essayistes anglais (Swift, Stevenson), il manie le paradoxe pour s'attaquer aux fondements mêmes de la civilisation moderne. Derrière l'humour et l'apparente légèreté du propos se cache une réflexion de nature à la fois philosophique et politique qui s'exprime avec une ironie mordante : "Il existe deux sortes de travail : le premier consiste à déplacer une certaine dose de matière à la surface de la terre ; le second à dire à quelqu'un d'autre de le faire."
Vivre écartelé entre une multiplicité de temps, de vies, de milieux. Naître et mourir plusieurs fois : telle est l'existence de l'homme déraciné. Dans ce texte inédit, paru en 1962 dans la revue allemande Merkur, Günther Anders livre sa vision déchirante de la condition de l'émigrant. Comme dans une lettre imaginaire, il s'adresse à un destinataire indéfini et saisit le lecteur. Menace de l'annihilation par l'assimilation, honte, infantilisation, impossibilité de partager la douleur du monde : Anders, lui-même juif émigré, donne toute sa dimension universelle et atemporelle à ce drame intime et le rend ainsi accessible au lecteur. Entre philosophie, histoire et témoignage, L'Émigrant fait entendre les échos d'un mal qui ne cesse de hanter notre époque.
Exécution de goumilev, longue agonie spirituelle, tortures physiques insupportables, mort de blok, privations cruelles et mort dans des souffrances inhumaines de khlebnikov, suicides prémédités de essenine et de maïakovski.
C'est ainsi que les années 20 de ce siècle ont vu mourir, à l'âge de trente à quarante ans, les inspirateurs d'une génération, et pour chacun d'eux, la conscience d'une fin irrémédiable, avec sa lenteur et sa précision, fut intolérable.
On se persuadera à la lecture du texte jubilatoire de Stevenson, Une apologie des oisifs, où défile une galerie d'excentriques britanniques de la plus belle eau, que la paresse et la conversation - au même titre que l'assassinat - méritent de figurer parmi les beaux-arts.
Aujourd'hui, chacun est contraint, sous peine d'être condamné par contumace pour lèse-respectabilité, d'exercer une profession lucrative, et d'y faire preuve d'un zèle proche de l'enthousiasme.
La partie adverse se contente de vivre modestement, et préfère profiter du temps ainsi gagné pour observer les autres et prendre du bon temps, mais leurs protestations ont des accents de bravade et de gasconnade. il ne devrait pourtant pas en être ainsi. cette prétendue oisiveté, qui ne consiste pas à ne rien faire, mais à faire beaucoup de choses qui échappent aux dogmes de la classe dominante, a tout autant voix au chapitre que le travail.
La Peste à Naples traite de deux épisodes survenus à quelques années d'écart dans la ville de Naples, alors sous domination espagnole : la révolte de Masaniello en 1647 et l'épidémie de peste de 1656. Deux crises, a priori, que rien ne rattache.
C'est toujours par la terreur que la pensée totalitaire s'immisce chez l'individu. Avec ce texte paru en 1946 dans la revue Commentary, Leo Löwenthal préfigure la philosophie du totalitarisme.
Alors que le progrès technologique lui a appris à suivre aveuglément des procédures, l'homme moderne, esseulé et déraciné, est devenu vulnérable. Les fascistes furent les premiers à exploiter politiquement cette pauvreté spirituelle. La terreur détruit les liens, confisque passé comme avenir, et expose aux manipulations. Frappées de stupeur, obnubilées par leur survie, les populations se retrouvent dans un état de dépendance infantilisant. Aujourd'hui, ni le terrorisme d'État, ni le terrorisme tout court, n'ont disparu. La lecture de Löwenthal s'impose, afin de briser enfin l'engrenage de la terreur...
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le «réfugié» préfère en général l'appellation de «nouvel arrivant» ou d'«immigré», pour marquer un choix, afficher un optimisme hors pair vis-à-vis de sa nouvelle patrie. Il faut oublier le passé : sa langue, son métier ou, en l'occurrence, l'horreur des camps. Elle-même exilée aux États-Unis au moment où elle écrit ces lignes dans la langue de son pays d'adoption, Hannah Arendt exprime avec clarté la difficulté à évoquer ce passé tout récent, ce qui serait faire preuve d'un pessimisme inapproprié.
Pas d'histoires d'enfance ou de fantômes donc, mais le regard rivé sur l'avenir. Mais aux yeux de ces optimistes affichés, la mort paraît bien plus douce que toutes les horreurs qu'ils ont traversées. Comme une garantie de liberté humaine.
Le Mont analogue, l'oeuvre maîtresse de René Daumal, ne sera découverte qu'après sa mort.
Dans ce récit, le poète du Grand Jeu embarque le lecteur dans un voyage initiatique vers le Mont Analogue, mystérieux et invisible sommet, objet de tous les fantasmes. Pierre Sogol, curieux monsieur, convainc le narrateur de l'accompagner dans une quête qui les conduira à traverser le Pacifique, avant d'accoster à l'énigmatique Port-des-Singes. Ils entreprendront de gravir le Mont, sans atteindre le sommet : Daumal mourra avant d'avoir terminé son récit.
Mythique, inaccessible, le Mont Analogue demeurera un mystère pour l'auteur et ses lecteurs. Horizon lointain et pénétrant, le Mont, par sa puissance allégorique, fascinera plusieurs générations d'artistes et inspirera à Jodorowski sa Montagne sacrée.
C'est sur le plateau d'Arménie qu'Ossip Mandelstam commence à rédiger ces Nouveaux poèmes, qui recouvrent la période vagabonde du poète. L'exil lui redonne courage dans les mots, dont il manie avec dextérité le chant. Ce recueil exprime au mieux son désir d'une langue universelle: le russe est relié sous sa plume à une atmosphère hellénistique mais aussi aux poètes persans qu'il lit en traduction française, aux auteurs allemands et à Dante. D'une grande spontanéité, ces poèmes allient le pouvoir du mot, considéré comme une forme autonome, et sa capacité, marié à d'autres, à égréner des images fortes et lumineuses. Outre des allusions éparses à la vie quotidienne, ils fourmillent de sous-entendus politiques et religieux. Ils sont des miroirs à visage double.
Dans le courant des vers libres, des poèmes se succèdent.
Ils tissent le récit d'un conflit à la fois général et intérieur. Et si tout est ambivalent, il n'en faudra pas moins tout dire. Le serein comme le sombre, l'équilibre et le déséquilibre, le scintillement et la blancheur mortuaire...
Dans la ville, les sensations se heurtent au malaise, à la violence et à la solitude de l'existence.
Puis, doucement, tout s'illumine. La beauté des gestes, du corps féminin, la magie des noms, des visages, apportent quelques nuances d'apaisement... Toujours empreint de l'impossibilité de dire, les mots deviennent abandon à la sérénité et au brouillard.
Face à la perte inéluctable, les poèmes de L'Imparfait du subjectif rappellent que l'imagination reste le refuge le plus sûr.
Célèbre surtout pour son oeuvre romanesque, Robert Musil (1880-1942) est aussi l'auteur de nombreux essais, conférences et aphorismes, qui le montrent attentif aux mutations de la conscience moderne. De la bêtise, qu'il considérait comme l'un de ses textes majeurs, aborde un sujet tabou dans la pensée classique : confrontée à son contraire, la réflexion ne court-elle pas le risque de vaciller sur ses bases ? «Si la bêtise ne ressemblait pas à s'y méprendre au progrès, au talent, à l'espoir ou au perfectionnement, personne ne voudrait être bête."
Dès son titre, l'ouvrage annonce le tournant opéré par la modernité. Benjamin montre dans cet essai lumineux et dense que l'avènement de la photographie, puis du cinéma, n'est pas l'apparition d'une simple technique nouvelle, mais qu'il bouleverse de fond en comble le statut de l'oeuvre d'art, en lui ôtant ce que Benjamin nomme son "aura". C'est désormais la reproduction qui s'expose, mettant en valeur la possibilité pour l'oeuvre d'art de se retrouver n'importe où. Capacité à circuler qui la transforme en marchandise. Benjamin met au jour les conséquences immenses de cette révolution, bien au-delà de la sphère artistique, dans tout le champ social et politique. Avec le cinéma, c'est la technique de reproduction elle-même qui désormais produit l'oeuvre d'art. Là, c'est l'image de l'acteur qui devient marchandise, consommée par le public qui constitue son marché. La massification du public de ces oeuvres a servi les totalitarismes. D'où "l'esthétisation de la politique" encouragée par le fascisme et la "politisation de l'art" défendue par le communisme.
«La raison pour laquelle le monde manque d'unité et gît brisé et en morceaux, c'est que l'homme est séparé d'avec lui-même. Il ne peut étudier la nature tant qu'il ne satisfait pas à toutes les exigences de l'esprit. L'amour lui est aussi nécessaire que la faculté de percevoir. En fait, aucun des deux ne peut atteindre la perfection sans l'autre. Au plein sens du terme, la pensée est ferveur, et la ferveur est pensée.» Dans La Nature, sa première oeuvre, Emerson expose avec lyrisme les principes philosophiques qui dirigeront toute son oeuvre : la cohérence intime de l'univers, la plénitude et l'harmonie de l'esprit individuel, la correspondance symbolique entre lois naturelles et lois morales.
Dénonçant un illusoire droit au travail qui n'est pour lui que droit à la misère, Lafargue soutient qu'une activité proprement humaine ne peut avoir lieu que dans l'oisiveté, hors du circuit infernal de la production et de la consommation, réalisant ainsi le projet de l'homme intégral de Marx.
Un classique toujours autant lu, plus que jamais d'actualité.